Quebecscience : Les trésors funéraires de l’Égypte antique

Marwa Mourad Vendredi 19 Mars 2021-15:44:54 Par-Ci Par-Là
Quebecscience : Les trésors funéraires de l’Égypte antique
Quebecscience : Les trésors funéraires de l’Égypte antique

Plus d’une centaine de momies, un temple funéraire, des fragments de papyrus : ces derniers mois, les découvertes se multiplient en Égypte, révélant la complexité de l’industrie funéraire de la Basse Époque.

Pour la première fois en 2 500 ans, la lumière du jour s’infiltre à l’intérieur d’un sarcophage égyptien autour duquel s’affaire une équipe de chercheurs. À l’aide de rayons X, ces derniers déterminent que la momie qui s’y trouve serait celle d’un homme d’environ 40 ans.

Or, ce n’est pas dans l’ambiance austère d’un laboratoire que ces premières analyses sont réalisées, mais plutôt au milieu des caméras de journalistes du monde entier ! Cette momie n’est qu’un spécimen parmi la centaine présentée au cours d’une conférence de presse spectaculaire organisée par le ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités en novembre 2020.

Les sarcophages en bois en parfaite condition et ornés de hiéroglyphes aux couleurs encore visibles remontent pour la plupart à la Basse Époque, une période de l’histoire d’Égypte s’étendant de 700 à 300 ans avant notre ère.

Cette rencontre avec les médias est la troisième en trois mois et elle sera suivie d’une autre qui s’est tenue le 16 janvier dernier. En tout, les archéologues ont exhumé environ 200 sarcophages de puits funéraires, des statues de divinités, des masques, des fragments d’un papyrus du Livre des morts, des poteries, etc. Ils ont aussi entièrement révélé le temple funéraire de la reine Naert, épouse du roi Téti, premier pharaon de la VIe dynastie de l’Ancien Empire.

Tous ces artéfacts proviennent de la nécropole de Saqqarah, située à une trentaine de kilomètres au sud du Caire. Ce plateau d’une dizaine de kilomètres carrés a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco il y a plus de 50 ans. « Saqqarah était la nécropole de la ville de Memphis, qui a longtemps été la capitale de l’Égypte, indique Jean Revez, égyptologue et professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est un des lieux les plus visités du pays. » Et ce site n’a pas fini de livrer ses secrets, car on estime que 70% des artéfacts sont toujours enterrés.

Pour l’instant, difficile d’en savoir davantage sur la nature des objets et sur leur contribution à l’égyptologie. « On annonce ces découvertes dans de grandes conférences de presse, mais on n’a pas encore accès aux informations scientifiques, dit Valérie Angenot, égyptologue et historienne de l’art à l’UQAM. La première chose à faire est de s’assurer de la préservation des momies. La recherche viendra après. »

Comment expliquer autant de découvertes en quelques mois à peine ? La réponse vient en partie des pratiques funéraires de l’époque à laquelle ces momies ont été enterrées. Quand on pense aux tombeaux égyptiens, on imagine des pyramides ou des salles souterraines dotées de chapelles richement décorées. Or, à la Basse Époque, les Égyptiens avaient presque abandonné ces façons de faire. Ils multipliaient plutôt les puits funéraires, des caveaux peu décorés, creusés à des dizaines de mètres sous terre, dans lesquels on entreposait plusieurs momies. Des sortes de fosses communes améliorées, en somme.

« À la Basse Époque, les pharaons ou leurs proches bâtissaient toujours de grandes tombes individuelles ou familiales, mentionne Valérie Angenot, mais pour la noblesse et d’autres particuliers, l’accent est mis sur la protection directe du corps par des sarcophages magnifiquement ornés, plutôt que sur le luxe des tombes. Ils avaient déjà le recul historique pour savoir que les grands tombeaux étaient une invitation pour les pilleurs. Les textes essentiels aux rites funéraires sont donc passés des murs des tombes à la surface des sarcophages. »

Cette pratique d’embaumement collectif permet aussi à des gens moins aisés d’aspirer à une vie après la mort. « Ce qu’on découvre dans ces puits nous permet de connaître le sort d’un plus grand nombre d’Égyptiens, mais aussi le statut des personnes inhumées et les privilèges auxquels elles pouvaient accéder », signale Jean Revez.

Selon les moyens du défunt, on voit des variations dans la manière d’emmailloter, les huiles d’embaumement employées ou le raffinement des vases canopes, ces jarres servant à entreposer les viscères des corps momifiés. « En étudiant ce savoir-faire, les chercheurs pourront voir une gradation dans l’industrie de la momification, des offres les plus luxueuses jusqu’aux plus banales », poursuit Jean Revez. Le chercheur ne sait pas à quoi s’attendre par rapport au caractère original des découvertes. « Par leur nombre important, c’est certain que ces artéfacts vont nous apporter des informations, mais il est probable qu’elles ne servent qu’à confirmer des connaissances qu’on a acquises à l’occasion de fouilles précédentes ».

Ces découvertes surviennent aussi à une période difficile pour l’Égypte, qui a vu le tourisme diminuer après le printemps arabe, puis avec la pandémie de COVID-19. « Pour le moment, les Égyptiens ont besoin de multiplier ces découvertes pour montrer la richesse de leur patrimoine, ajoute Valérie Angenot. Mais les Égyptiens ont aussi un réel intérêt pour leur passé, non pas comme source de revenus, mais pour l’importance de la science. Les plus belles momies iront rejoindre les collections de musées, comme celle du futur Grand Musée Egyptien, dont l’ouverture a été reportée à 2021. Mais on ne sait jamais à quoi va mener une découverte archéologique. Le moindre objet peut servir de point de départ à de nouvelles théories. »

Qu’elles soient destinées aux musées ou aux laboratoires, il y a fort à parier qu’une telle attention scientifique et médiatique n’était pas incluse dans les arrangements funéraires des momies concernées.

 


 

en relation